|
Survivantes
Extrait du dialogue tenu entre Sergio Ciancaglini de Lavaca.org et trois rescapés
de l'incendie suvenu lors d'un concert de rock à Buenos Aires,
Argentine le 30 decembre 2004
Plus d'information et reportage photo ici
Mauge,
Florencia et Sonia,
17, 18 et 22 ans.
Mauge : Il faut passer le réveillon. C'est ce qu'on
pouvait entendre
là-bas.

Dans Cromagnon (le nom de la salle dans laquelle se
derouait le concert)?
Mauge : oui, les gens criaient: "mec, demain c'est
le nouvel
an", "je veux sortir, j'ai des enfants", "maman,
aides moi". Tout le monde criait. Je me suis mise à pleurer et
je me
disais: "maman, sort moi de là". Je pensais à mes
neveux, je
voulais sortir et voir ma mère. Je n'aurais jamais pensé
que quelqu'un puisse
rester là-dedans pour toujours. Après, j'ai
commencé à voir les corps des mômes...
je me suis réveillée dans une ambulance et j’ai
rampé jusqu'à un camion de
pompier parce qu'ils arrivaient avec un gars à moitié
mort, tout noir à cause
de la fumé, et je suis descendue de l'ambulance pour la lui
laisser. Je disais
aux gens»: aidez-moi à trouver mon ami", mais on me
répondait»: non, il
est mort" Je cherchais Walter, qui était venu avec moi. Les
corps
s'empilaient les uns sur les autres. Mon ami était couché
par terre,
parmi eux. J’ai du le taper pour qu'il réagisse un peu,
finalement il a
bougé. 5 minutes avant on était en train
d'écouter du rock et je me
retrouve après avec des gars morts à côté de
toi. Tu deviens barge.
Sonia: Ou avec ta famille te
cherchant à la morgue
Mauge: J'ai appelé ma mère pour lui
dire
que tout était en train
de brûler. Mon pote, la dernière chose qu'il a faite c'est
de prendre son
téléphone portable pour m’appeler, mais il l'a perdu et
s'est endormi. Pareille
que moi. A cause de la fumée. Les gens m'ont marché
dessus, je me suis faite
écraser. J'ai pu arriver à deux mètres de la
sortie et j'ai du resté là. Je
n'ai pas pu courir. Ils m'ont sortie inconsciente. Je ne suis pas morte
parce
que dans la rue, une fille m'a aidée, elle a apporté un
tube d'oxygène et nous
faisait respirer à moi et à mon ami, chacun notre tour.
Sonia: Tout le monde a été très
solidaire.
A moi, ils m'ont sortie du
VIP, une heure et demi après.
Le secteur VIP était en haut, la lumière s'est
coupé et on n'a pas pu descendre
parce qu'il y en avait qui essayaient de monter pour échapper au
feu. Après
quelques minutes, j'ai appelé ma mère avec le portable.
Je lui ai dit " on
est en train de brûler, je t'aime". Elle ne comprenait rien, elle
me
disait "sort, sort "je lui aie dit," maman, je ne peux pas
sortir" et j'ai coupé pour ne pas l'achever. Je ne
respirais plus.
Je vomissais toute la fumée. Ils ont sorti plein de gars mort et
les pompiers
refusait de monter.
Florencia: Des amis de mon fiancé Julian, voulait
monter
pour aider et
ils leurs ont dit»: ne monter pas, ils sont tous morts".
Sonia : J'étais une de ces mortes. Je me souviens
que
j'ai voulue me
jeter des escaliers mais je n'ai jamais pu arriver jusque là. Je
me suis
évanouie. Une de mes amie, Jessica, est revenue nous chercher et
là tout a pris
feu. Elle s'est évanouie à cause de la fumée et
n'a pas pu sortir. Celui qui
m'a sorti s'appelle Roberto, un mec de plus de 40 ans. Comme la police
ne
rentrait pas pour sortir ceux qui étaient encore dedans, il a
dit à un
policier»: tiens, je te laisse mon sac et je rentre". Il sortait
du boulot,
il passait par-là et s'est mis à aider. Il a sorti trois
jeunes et est monté
ensuite au VIP. Il m’a chargé sur ses épaules puis m'a
laissé dans une
camionnette. Ils m'ont emmené à l’hôpital Penna.
Pleins de gens qui n'étaient
pas allé au concert ont perdu leurs vies pour aider.
La dernière main que j'ai touchée fut celle de ce
garçon. Quand j'étais dehors
et que ma maman est venue me chercher j'ai vu un gars avec un tee-shirt
rouge
de Kapanga, au sol avec le visage recouvert. Je me suis dit: "merde, si
c'est celui qui m'a sorti de là, je ne me le pardonnerai jamais".
Florencia: Ce qui nous a sauvés, c'est les gens.
Ils
descendaient des
immeubles, ils chargeaient des bouteilles, apportaient de l'eau et nous
mouillaient. Une dame est arrivée par la rue Jean Jaurès
avec un tuyau
d'arrosage et nous mouillait.
Mauge: Mais d'eux, personne ne parle. Ils cherchent le
gars qui
a allumé
la bengale.
Prier ou se jeter.
Sonia: Les gens m'écrasaient contre la porte,
alors
je ne pouvais
pas atteindre la rambarde de l'escalier, j'ai voulu me lever et allumer
le
portable pour m'illuminer, mais la porte que j'essayais d'ouvrir
était fermée
et je me brûlais, parce qu'elle était en fer. Il n'y
'avait pas de poigné. On a
tapé dessus jusqu'à ce qu'un gars s'est évanoui
d'un coup. Là, je me suis dit,
bon, ça y est, on est en train de brûler. J'essaye de me
lever et une fille me
jète au sol et me dit»: restes là et prions".
Prions?
Sonia: oui, il y avait comme une
résignation. Les
gens restaient
au sol, en croyant qu'il y avait plus d'oxygène. Mais dans le
Vip, il n'y avait
d’oxygène nulle part. J'ai essayé de marcher et j'ai
entendu un cri parce que
je venais de marcher sur une personne. Là je me suis dit»:
non, je vais tuer
quelqu'un." Alors je me suis arrêter, je n'ai plus bougé.
Je me sauve moi
et pas lui? , Non. Je me disais: il faut qu'on sorte tous et je
criais»: ne
priez pas, jetez-vous." Il n'y avait pas le choix là-haut, tout
était
noir, il n'y avait pas d'autre sortie.
Mauge: il y avait des personnes qui tournaient en rond,
parce
qu'il n'y
avait pas de panneau de sortie de secours.
Florencia: moi, j'en ai vu un
Mauge: Pas en bas. L’incendie s’est produit deux personnes
derrière moi,
Sonia: Le feu, on aurait dit... tu sais comme la lave
d’un
volcan
Mauge: C’était des gouttes, comme une pluie de
feu.
Florencia: En plus le feu te consumait le peu que tu
arrivais
à penser.
Comment es-tu sortie Flor?
Florencia: A l’intérieur, la seule chose que
j’écoutais était la
voix de Julian. Je lui ai dit: on va au sol, il y a de l’air par terre.
On se
met par terre mais il n’y avait pas d’air non plus et les gens nous
marchaient
dessus. On s’est remit debout.
On arrive à l’escalier et je lui dis:
"jetons-nous". Il
me
prend et me dit que non. Je l’entends dire qu’il m’aime. Un moment on
se
sépare, je ne sais pas comment. Juste quand je lâche la
main de Julian, je vois
quelque chose qui dit, Sortie de secours. Finalement j’ai pu sortir par
un
côté, celui de l’hôtel.
"Vieille folle"(1)
Mauge : Au milieu de ce bordel on entendait de tout, des
phrases qui te
reste dans la tête, qu'on ne peut pas oublier."Faisons un trou
dans le
mur" criaient des gars dans le secteur VIP. Un autre qui disait :
« j’ai des enfants. Moi je criais: « maman,
aides-moi. Je me suis élevé
le tee-shirt, je me le suis mit devant la bouche, de l’autre main, j’ai
prit
une petite médaille que ma maman m’avait offerte cinq jours
avant à Mar del
Plata, un médiator des « Viejas Locas »,
un groupe de rock. Elle
m’avait dit: " elle va te porter chance ". J’ai prit le médiator
et
j’ai dit : " maman, sort moi d’ici ". Je me suis dit, je ne vais pas
passer le réveillon sans voir mes neveux, si je ne sors pas pour
eux, alors je
ne sortirais pour personne.
Sonia: C’est sur, il fallait chercher la force quelque
part, je
pensais
en ma maman.
Florencia: moi aussi, je suis sortie pour ma mère.
Sonia: je me disais: s’il m’arrive quelque chose, elle va
en
mourir et
je ne voulais pas qu’il lui arrive quelque chose. Peut être qu’il
y a des gens
qui se sont résignés et qui n’ont pas trouvé cette
chose pour laquelle sortir.
Mauge: j’ai pensé que ma mère m’attendait
dehors,
j’ai vu une lumière et
je l’ai suivie. Je sais pas ce que c’était, une petite
lumière... je l’ai
suivie. J’ai prit la main d’un type et j’ai finie très
près de la porte, c’est
pour ça qu’ils m’ont sortie plus ou moins rapidement.
Florencia: à un moment je me suis dit: "ça y
est
". J’étais
par terre, à genoux. Juste à ce moment ils ont ouvert la
porte, j’ai vu la
lumière et je me suis dit: "qu’est ce que c’est? La sortie ou le
ciel ? .
T’as vraiment cru ça?
Florencia:
Oui, Je ne savais pas si j’étais morte ou si j’allais sortir.
Sonia: je ne comprenais pas non plus. A l’hôpital,
je
demandais
: « je suis vivante ? »
Mauge: Moi, j’ai entendu un gars qui
criait: « courrez par
ici, je suis de callejeros. Des gens montaient sur scène.
Ils avaient déjà
dit:
« soyez pas con, n’allumez pas de bengales. Et Chaban avait
dit: »
Nous sommes cinq milles personnes, par cette porte on ne sortira pas.
Florencia: Il a aussi dit : « et s’il arrive
quelque
chose, ce sera
un masacre.
Mauge: comme au Paraguay, il a dit, comme dans le shopping
ou il
était
arrivé quelque chose dans le genre.
Florencia: Lui savait que ça allait arriver. Quand
il a
dit ça, on s’est
dit: « eh! Un massacre? .
Mauge: Pato (le chanteur de callejeros) avait dit :
« n’allumez pas
de bengales, ici il y a des filles qui ne pourront pas respirer
à cause de la
fumée.
(...)
Buenos Aires Decembre 2005
Photos de Nicolas Pousthomis
_______________________________________
escribir a
argentinaphoto@riseup.net
VOLVER
www.argentinaphoto.com.ar
Agencia de
fotografía independiente
|